
Urgences dentaires : guide scientifique et pratique
1. Définition et enjeux
Une urgence dentaire est une situation clinique dans laquelle la douleur, l’infection, l’hémorragie ou le traumatisme mettent en péril, à court terme, l’intégrité de la dent, des tissus de soutien ou la santé générale du patient. Selon les données de Santé publique France, 2 à 3 % des passages aux urgences hospitalières concernent la sphère bucco-dentaire, et près de 50 % d’entre eux sont liés à des infections odontogènes.
2. Principales pathologies impliquées
Groupe | Pathologie | Signes d’alerte immédiate |
---|---|---|
Infectieuses | – Pulpite irréversible (rage de dent) – Nécrose pulpaire avec abcès apical – Abcès parodontal aigü – Cellulite cervico-faciale | Douleur pulsatile > 5 / 10, gonflement, fièvre ≥ 38 °C, trismus, dysphagie |
Traumatiques | – Fracture coronaire exposant la pulpe – Luxation / extrusion / avulsion dentaire – Fracture alvéolaire | Dent mobile ou manquante, saignement persistant, œdème, incapacité à fermer la bouche |
Hémorragiques | – Hémorragie post-extraction – Plaie gingivale profonde | Saignement ≥ 20 min malgré compression, taux d’anticoagulants élevé (INR > 3) |
Inflammatoires associées | – Péricoronarite aiguë (dent de sagesse) – Alvéolite sèche | Douleur irradiant vers l’oreille, mauvaise haleine, ganglions sous-mandibulaires |
Fonctionnelles | – Luxation de l’ATM | Impossibilité de fermer la bouche, douleur articulaire aiguë |

3. Comment reconnaître l’urgence ?
Une consultation dans les 24 heures est nécessaire si l’un des critères suivants est présent :
- Douleur intense (≥ 5 / 10) non soulagée par paracétamol ≤ 4 g / 24 h ou ibuprofène ≤ 1 200 mg / 24 h.
- Œdème facial évolutif, asymétrie marquée ou œil gonflé.
- Signes systémiques : fièvre ≥ 38 °C, frissons, fatigue inhabituelle.
- Troubles fonctionnels : difficulté à avaler, à respirer, trismus (ouverture < 30 mm).
- Hémorragie persistante au-delà de 20 minutes malgré une compression ferme.
- Traumatisme entraînant dent expulsée ou fragment exposant la pulpe.
4. Conduite à tenir avant l’arrivée chez le dentiste
Situation | Geste de premier recours | À éviter absolument |
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Dent avulsée (enfant ou adulte) | Rincer brièvement (≤ 10 s) sous sérum physiologique, replacer dans l’alvéole ou conserver dans du lait UHT froid / solution de secours (HBSS), consulter < 60 min. | Gratter la racine, utiliser de l’eau du robinet chaude, laisser la dent sécher. |
Abcès gonflé | Bain de bouche tiède eau + sel 3 fois / jour, paracétamol, poche froide 15 min. | Chaleur locale, percer soi-même, aspirine en contact direct (risque de brûlure). |
Hémorragie post-extraction | Rouler une compresse stérile imbibée de sérum physiologique, mordre 20 min, maintenir la tête surélevée. | Rincer vigoureusement, sucer ou cracher de façon répétée, prendre AINS si contre-indication. |
Fracture exposant pulpe | Protéger avec compresse stérile, éviter aliments chauds/froids, prise antalgique. | Aliments collants/sucre, toucher la pulpe avec la langue ou des instruments. |
En cas de fièvre > 39 °C, gonflement rapide ou troubles respiratoires, appeler immédiatement le 15 (SAMU)
5. Prise en charge professionnelle
- Triage clinique et imagerie : examen visuel, tests de vitalité, radiographie rétro-alvéolaire ou panoramique, parfois CBCT.
- Gestion de la douleur : anesthésie locale (articaïne 1 : 100 000), drainage d’abcès, pulpotomie d’urgence ou décompression.
- Thérapeutique spécifique :
- Pulpite → début de traitement endodontique (débridement, médication intra-canalaire).
- Abcès parodontal → incision, curetage, irrigation antiseptique (chlorhexidine 0,12 %).
- Dent fracturée → coiffage pulpaire ou traitement radiculaire + reconstitution corono-radiculaire.
- Avulsion récente → replantation, gouttière de contention 7–14 jours, antibiothérapie (amoxicilline 50 mg/kg j, maxi 3 g) et vaccin antitétanique à jour.
- Antibiothérapie raisonnée : uniquement si signes systémiques ou risque de dissémination ; première intention : amoxicilline ± acide clavulanique, alternatives : clindamycine chez l’allergique.
- Suivi : contrôle 48 h pour infections extensives, contrôle radiologique 6 semaines à 6 mois après traumatisme.
6. Prévention : éviter que l’urgence n’arrive
- Consultation semestrielle : dépistage carieux et parodontal, radiographies bite-wing tous les 24 mois chez l’adulte à risque moyen.
- Protection sportive : gouttière sur mesure dans tous les sports de contact ; 39 % des traumatismes dentaires surviennent sans protection adéquate.
- Éducation thérapeutique : technique de brossage (méthode Bass modifiée), fil dentaire ou brossette quotidienne, contrôle des sucres libres (< 10 % des calories).
- Suivi des patients polymédiqués : anticoagulants, biphosphonates, anticancer ciblés — anticiper les extractions et coordonner avec le médecin traitant.
Conclusion
L’urgence dentaire est un enjeu de santé publique : prise en charge rapide = pronostic amélioré, douleur réduite, complications évitées. Repérer les signes d’alerte (douleur sévère, œdème, fièvre, hémorragie), appliquer les premiers gestes sécuritaires, puis consulter un chirurgien-dentiste ou un service spécialisé sans délai sont les trois piliers d’une démarche efficace. La prévention reste toutefois le meilleur traitement : hygiène rigoureuse, visites régulières et équipements de protection adaptés limitent l’incidence des urgences graves.
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